L’interview : comment faire passer un message
La préparation : mettre à l’aise et créer l’intimité
Pour parler ouvertement il faut se sentir dans un espace d’intimité et celui-ci se crée en mettant votre interlocuteur en confiance. Prendre le temps avant le tournage de boire un café, parler de choses légères et bien se présenter ainsi que le projet est une étape fondamentale [1].
Si vous travaillez en équipe, le choix des personnes qui vous accompagne pourra avoir son importance, certaines personnes se confieront plus facilement en présence d’individus du même sexe et cela peut aussi dépendre du sujet traité. Le lieu doit être un endroit où la personne se sent bien ou qui provoque chez elle une réaction : à son domicile, un lieu qui lui plaît, l’espace où s’est déroulé l’événement en question,…
L’échange : donner pour recevoir
Réaliser une interview c’est avant tout partager avec quelqu’un et pour cela il faut écouter et pas seulement entendre la réponse. Il faut se dévoiler dans son intimité pour encourager l’autre à en faire de même [2].
En pratique on peut demander à la personne de nous poser une question, parler d’une chose pour en amener une autre. Regarder la personne dans les yeux sans faire autre chose en même temps, ne pas interrompre, poser des questions et reformuler ce que vous avez compris. Pour y arriver il faut avoir bien préparé son dispositif en amont pour se consacrer entièrement à l’autre pendant l’enregistrement.
Werner Herzog dans son film « Into the Abyss » interroge un prisonnier condamné à la peine capitale la semaine suivante. Il laisse volontairement au montage le moment où il explique que sa présence en cet endroit ne signifie aucunement qu’il doit l’apprécier, ni qu’il cautionne ou pardonne son acte, mais qu’il croit en revanche qu’aucun être humain ne devrait être mis à mort en sanction à des actes qu’il a commis.
Cette déclaration fixe les bases de la discussion et montre à l’interlocuteur vos intentions, sans essayer de mentir, car vous dévoilez aussi vos propres impressions et créez un climat de sécurité. Nous revenons ici à l’étymologie de l’entrevue qui n’est autre que la rencontre entre deux personnes.
Laisser parler librement
L’interview est un travail d’enregistrement et non de création d’une fiction, on se met au service de quelqu’un dont on pense que la parole est importante [3]. L’objectif n’étant surtout pas de faire dire ce que l’on veut entendre.
Pour y arriver il faut privilégier les questions ouvertes, respecter les silences et savoir ne pas répondre, pour laisser la personne aller au bout de sa pensée (et ainsi éviter les coupures au montage).
Après avoir annoncé la fin de l’interview, vient un moment très spécial pour poser une dernière question ou demander un éclaircissement [4], c’est dans ce temps relâchement que la personne se dévoilera souvent plus tranquillement et franchement, ne coupez donc pas tout de suite l’enregistrement !
Chercher les histoires qui resteront en mémoire
Plus qu’un grand discours théorique, ce que les gens retiennent sont les anecdotes, les histoires auxquelles ils peuvent s’identifier.
Pour inciter à se les remémorer et à nous les raconter on peut présenter un objet familier, parler d’une action qui vient ou qui va avoir lieu, évoquer un sujet d’actualité et demander quelle avait été la réaction personnelle, …
La préparation pré-interview (mail contenant les questions auquel répondre en grande ligne, ou échange préalable au téléphone ou durant une rencontre, par exemple) peut aider à s’exprimer et à organiser ses souvenirs et réflexions, mais la spontanéité peut aussi apporter d’excellents résultats. En vous imprégnant des réponses vous serez aptes à rebondir sur de nouvelles questions.
La clef d’une interview est tout ce qui se passe du côté humain, arriver à ce que la personne interrogée dise ce qu’elle a envie de dire, de la manière dont elle a envie de le dire et vous êtes là pour l’accompagner dans ce processus.
[1] Edgard Morin : « C’est une condition sine qua non. S’il n’y a pas d’empathie, il n’y a pas ce qui permet l’apparition du confidentiel, c’est-à-dire ce qu’on n’a pas l’habitude ni l’intention de dire. »
[2] Florence Aubenas : « Moi, dans mon idée, mais ça c’est mon impression à moi, toi tu es obligé de lâcher quelque chose, tu es obligé de te mettre à égalité avec les gens. Pour moi ça c’est mon idée, tout le monde ne te dira pas forcément ça. Tu peux pas venir et faire que prendre, et être que spectateur. Quand tu es face à un truc terrible pour les gens, et ce terrible peut être d’ordre différent. La catastrophe elle est multiple. Elle peut-être je sais pas… la maison s’est écroulée, t’es dans une cours d’assise…peu importe quoi… Et là si tu veux faire une bonne interview et creuser un truc t’es obligée de donner un truc, de te déballer un peu. De donner quelque chose de toi. Je me souviens j’avais fait un truc d’économie, des gens qui venaient de se faire virer de l’usine. La question était de savoir combien ils allaient toucher. Et moi je suis arrivée et je leur ai dit : « Voilà, bon, combien vous avez touché ? » Parler d’argent c’est toujours compliqué. Et puis après j’ai dit : « Alors voilà ce que je gagne. Moi je gagne ça. » Par exemple les gens si je leur demande ce qu’ils votent. Je vois qu’ils sont gênés, qu’ils osent pas dire et tout, alors moi je leur dis : je vote ça ou je vote pas. Je leur dis, et ils peuvent le répéter tant qu’ils veulent. Si tu veux j’estime qu’à des anonymes, on doit pouvoir me renvoyer ma question. On pose des questions parfois intimes. Il faut partager, être au même niveau. Tu surplombes déjà énormément quand t’es interviewer… »
[3] Pierre Bourdieu : « Quand on veut que quelqu’un qui n’est pas un professionnel de la parole parvienne à dire des choses (et souvent il dit alors des choses tout à fait extraordinaires que les gens qui ont la parole à longueur de temps ne sauraient même pas penser), il faut faire un travail d’assistance à la parole. Pour ennoblir ce que je viens de dire, je dirai que c’est la mission socratique dans toute sa splendeur. Il s’agit de se mettre au service de quelqu’un dont la parole est importante, dont on veut savoir ce qu’il a à dire, ce qu’il pense, en l’aidant à en accoucher. »
[4] Florence Aubenas : « On parle toujours des techniques, et à chaque fois je le fais, c’est systématique. C’est à la Colombo : tu dis au revoir, et « Ah oui une dernière chose ! » Et là le carnet tu ne l’as pas ressorti et en général les dix minutes tu peux les prendre in extenso. Donc je pose une dernière question et ça repart pour un tout petit tour et tout est bon, à chaque fois. »
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